à propos du plagiat

(article de 2015 réécrit en 2021)
 
Chaque année, au moins un de mes étudiants pratique le plagiat "en toute bonne fois". Ramené aux proportions de, disons, une promo d'université, ça représente une très grosse quantité d'élèves. Un plagiat est considéré comme de la triche pure et simple, il peut au mieux valoir une note nulle, et au pire coûter son année, voir une exclusion pure et simple, à un étudiant.

Le plagiat est puni par la loi. Ça consiste ni plus ni moins à s'attribuer le travail d'un autre.

Comment se fait-il qu'autant d'étudiants pratiquent le plagiat sans même s'en rendre compte ?

- Parce qu'ils n'ont jamais été pénalisés pour plagiat.

Exemple : face à la quantité d'informations disponibles en ligne et à la quantité d'écris produits, les enseignants ont rarement le temps ni la possibilité de vérifier des exposés faits en classe. Pourtant les élèves se contentent souvent de reformuler voir de lire tels quels des passages entiers tirés de livres. Il suffirait d'une hygiène de citation des sources. Sans notes de bas de page, réécrire ou copier-coller une citation existante constitue un plagiat. Mais une discussion qui accompagne cette pratique arrive assez tard dans les formations.

- Parce qu'ils ont été valorisés pour l'avoir fait.

Exemples : l'entourage peu informé valorise une production plagiaire
> des travaux plagiaires obtiennent des bonnes notes, vos potes qui adorent Naruto plébiscitent vos fanarts, votre famille se contente du fait que vous "sachiez dessiner" et applaudissent vos copies.

Ou encore, le travail copié correspond à une demande du marché (style mange, style comics...). Mark Maggiori a essuyé un mini-scandale dans les années 2000 le milieu de l'animation française. Pourtant, il avait un producteur : son "style" directement copié des anime les plus en vogue correspondait à ce qui marchait le mieux à l'époque. Ce sont les fans de japanim qui se sont insurgés contre lui. On retrouve les mêmes enjeux dans les métiers du livre, où les styles qui ressemblent à un.e auteurice qui marche vont permettre d'obtenir des commandes. 

Le fanfic (qui consiste à développer des histoires à partir de personnages de la culture populaire) est un moyen d'obtenir de la notoriété sur Internet. Il est toléré parce qu'il participe à la communication sur l'œuvre originale, mais est pénalisé chaque fois qu'il s'agit de faire de l'argent avec. Les ayants-droits autorisent les œuvres hommage dans la mesure où elles restent amateurs, et mais sont en droit de les poursuivre si elles portent atteinte à la propriété intellectuelle (ce qui peut être le cas pour un projet qui a l'air trop professionnel).
> Quelques exemples de courts métrages de fanfic interdit, ici avec Marvel et Punisher, là à propos du jeu vidéo Warhammer.




- parce que le marketing fait passer la customisation pour la création 

Les invites à "customiser", c'est-à-dire à personnaliser quelque chose sont systématiquement associés au verbe "créer".
> exemple avec cette page de personnalisation adidas

"Unleash your creativity", "design your shoes". Il s'agit en fait d'uploader une photo pour en faire un motif sur des chaussures, et de choisir parmi plusieurs options préexistantes. Il n'y a d'opération de design à proprement parler, mais c'est pourtant ce que met en avant la communication du site.


- parce que l'art contemporain le fait

Par exemple, le cas de Jeff Koons.
Si la démarche de Jeff Koons est reconnue par les institutions artistiques, c'est parce qu'il joue d'un élément prépondérant en art contemporain : le second degré.
Les propositions de Koons sont une sorte de retournement de la Fontaine de Duchamp. Il récupère une image ou une figurine dans la culture populaire, l'agrandit et la met sur un socle. Ainsi, il utilise les codes de la sculpture classique pour "ériger" la statue. Le socle et l'agrandissement visent à établir une hiérarchie avec le regardeur. Jeff Koons célèbre une esthétique un peu kitch et populaire, au profit du goût le plus large qui est à rebrousse poil des codes de l'art contemporain, pour le remettre dans ce même champ de l'art contemporain. Les institutions le reconnaissent comme un produit de son époque et comme un acte second degré (quoi que ?). En gros, ça marche parce qu'il est malin.

Attention cependant ! Pour la loi et les droits d'auteurs, Koons est effectivement un plagiaire. Il a perdu à deux reprises des procès contre les photographes dont il avait utilisé le travail, et notamment avec Ushuring in banality, 1988,(ci-dessus) réalisé à partir d'une photographie de Barbara Campbell intitulée "Boys with Pig". La justice américaine considère que l'appropriation n'est pas assez flagrante et qu'il s'agit bien d'un plagiat.

En conclusion

Si les limites sont floues et que le public tolère dans une certaine mesure le plagiat comme une forme d'appropriation ou la réactualisation de quelque chose qu'il aime, la loi, elle, est très claire : le plagiat est illégal.

Dans le cadre de la création (et de la recherche), il est attendu des étudiants de produire un travail personnel et original.

Il est certes impossible de faire table rase des influences extérieures et de sa culture (personnelle, géographique, etc). Mais toute appropriation doit être bien digérée et faire preuve d'intelligence.La phrase de Picasso : "un bon artiste copie, un grand artiste pille", qu'on retrouve en anglais sous la forme "Steal from many", implique un large éventail d'influences, analysées et digérées.

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